Certaines femmes sont-elles prédisposées à faire un déni de grossesse ? Info ou intox ?
Une grossesse qui évolue sans que la future mère en ait conscience : c’est ce qu’on appelle un déni de grossesse. Phénomène rare mais bien réel, il intrigue autant qu’il interroge. Existe-t-il un « profil type » de femmes concernées ? Certaines seraient-elles plus exposées que d’autres ? Éléments de réponse avec le Dr Julien Dumesnil, gynécologue obstétricien à l’hôpital Ramsay Santé d’Antony (92).
Le déni de grossesse, « c’est une situation dans laquelle une femme est enceinte, mais ne le sait pas », explique le Dr Dumesnil. Il ne s’agit pas d’un simple oubli ou d’un refus d’assumer la réalité. « Ce n’est pas une mise en scène ni un caprice. C’est une inconscience réelle de la grossesse, un phénomène psychique complexe », insiste-t-il.
En France, on estime qu’il se produit entre 1 à 3 cas pour 1 000 naissances. « Ce n’est pas quelque chose que l’on voit tous les jours en maternité, mais ce n’est pas exceptionnel non plus. »
Quand les signes de grossesse restent invisibles
Ce qui rend ces situations particulièrement déconcertantes, c’est l’absence totale des signes classiques de la grossesse. « Il n’y a pas de nausées, pas de prise de conscience de la prise de poids, pas de perception des mouvements du bébé… Et parfois même, les femmes continuent à avoir leurs règles », détaille le spécialiste.
Le corps, dans certains cas, ne montre rien : « J’ai déjà accouché une patiente qui ne savait pas qu’elle attendait un enfant, deux heures avant de mettre au monde un bébé de 3,4 kg. » Certains accouchements se font ainsi dans l’urgence, à la maison ou aux urgences, sans préparation ni suivi.
Pas de profil type, mais des contextes favorisants
Alors, info ou intox : certaines femmes sont-elles prédisposées ? Pour le Dr Dumesnil, la réponse est nuancée. « Il n’existe pas de profil type clairement identifié. Le déni peut concerner toutes les catégories sociales, tous les âges. J’ai vu des adolescentes, mais aussi des mères de famille, des cadres de 40 ans… »
En revanche, il existe des facteurs qui semblent favoriser l’apparition d’un déni. « Des traumatismes psychiques, une enfance difficile, des contextes familiaux rigides, ou encore des situations où une grossesse n’est pas acceptable – socialement, affectivement ou moralement – peuvent jouer un rôle. »
Le médecin évoque également des conflits inconscients liés au désir ou au refus d’un enfant : « Parfois, renoncer à une grossesse, c’est aussi renoncer à une certaine image de soi, à la jeunesse, à la fécondité… Cela peut raviver des tensions profondes. »
Une forme de protection psychique
Pour expliquer le déni, le gynécologue évoque « un mécanisme de protection psychique » : un processus mental inconscient, destiné à éviter un conflit intérieur jugé insurmontable. « Ce phénomène a des points communs avec ce que l’on observe parfois dans des cancers négligés : les patients savent que quelque chose ne va pas, mais ils préfèrent ne pas y penser. Ils se racontent autre chose. »
Dans le cas du déni de grossesse, cette forme d’“amnésie corporelle” peut aller très loin. « Certaines femmes ne ressentent même pas les contractions. Elles peuvent arriver à la maternité déjà en phase d’accouchement, sans s’être doutées de rien. »
Quand le corps coopère au silence
Le corps aussi semble participer au déni. « Il existe des cas de règles persistantes, de ventre qui ne s’arrondit pas, ou de postures corporelles qui ne trahissent pas la grossesse », décrit le médecin. « Les femmes enceintes ont souvent une gestuelle, une attitude centrée sur le ventre. Ce comportement est totalement absent chez celles en déni. »
Il souligne aussi que certaines femmes ont une perception corporelle très différente. « On parle de proprioception : la capacité à ressentir ce qui se passe dans son propre corps. Cela varie d’une personne à l’autre. »
Des conséquences médicales bien réelles
Le principal risque du déni de grossesse, c’est l’absence totale de suivi médical. « Pas d’échographies, pas de dépistage des malformations, pas de prévention des maladies comme la coqueluche, pas de vaccination… Et bien sûr, pas de préparation à l’accouchement », liste le Dr Dumesnil. À la naissance, les nouveau-nés issus d’un déni doivent faire l’objet d’un examen médical approfondi.
« On essaie de rattraper ce qui n’a pas été fait, mais certaines choses ne peuvent pas être réparées après coup. »
Accompagner sans juger
Le soutien psychologique est, selon lui, indispensable. « Une consultation est toujours proposée, avec beaucoup de délicatesse. L’objectif est de comprendre ce qui s’est joué, sans jugement ni brutalité. Parfois, on ne trouve pas de cause précise, mais il faut toujours explorer. »
Une récidive est-elle possible ? « Oui, surtout si les facteurs de vulnérabilité – psychiques ou sociaux – sont toujours présents. Certaines femmes ont connu des violences dans l’enfance. La grossesse peut alors raviver des blessures anciennes. »
Un message de bienveillance
À toutes celles qui vivent ou ont vécu un déni, le Dr Dumesnil adresse un message clair : « Ce n’est ni une faute, ni une faiblesse. Il faut accepter que notre psychisme nous échappe parfois. Se comprendre, se pardonner, c’est essentiel. Et surtout, se faire accompagner. »
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