Substances psychédéliques et santé mentale
Dépression résistante, troubles anxieux, dépendance à l’alcool … la recherche en France sur l’évaluation de l’efficacité des psychédéliques sur les troubles mentaux connait un regain depuis le début des années 2020. Tour d’horizon des dernières études scientifiques sur le sujet.
Quelles substances psychédéliques sont concernées ?
Illicites en France car classés comme stupéfiants, les psychédéliques appartiennent à la famille des psychotropes. Il s’agit d’un ensemble de molécules qui agissent sur le cerveau. On distingue des composés synthétiques comme le LSD (acide lysergique diéthylamide) synthétisé pour la première fois en 1938 par le chimiste suisse Albert Hofmann. Ce composé est dérivé d’un champignon parasite du seigle.
Plusieurs substances d’origine naturelles sont également au cœur de travaux en psychiatrie. On retrouve la psilocybine, issue de champignons hallucinogènes du genre Psilocybe. On trouve également la mescaline (molécule aux propriétés hallucinogènes contenue dans le peyotl, petit cactus présent en Amérique centrale et dans le cactus de San Pedro d’Amérique du Sud). Mais aussi le DMT (N, N‑diméthyltryptamine) extrait de la liane ayahuasca.
En agissant sur les récepteurs de la sérotonine 5-HT2A au niveau du cerveau, ces molécules psychotropes modifient les réseaux cérébraux (multiplication des connexions entre les régions cérébrales lointaines). En parallèle, ces molécules suractivent les aires visuelles et émotionnelles et freinent le système de mode « par défaut », le centre de l’introspection et de la perception de soi. Ces changements induisent chez l’usager des modifications dans ses perceptions de l’espace-temps et dans son état de conscience, et notamment par une dissolution de l’égo.
La Recherche en France : où en est-on ?
En avril 2021, une équipe de cinq psychiatres parisiens ont passé en revue 25 études publiées entre 1990 et 2020 portant sur l’évaluation de plusieurs psychédéliques (LSD, psilocybine, ayahuasca) contre divers troubles psychiatriques et addictologiques. Les chercheurs concluent que « les psychédéliques constituent des thérapeutiques prometteuses, d’efficacité rapide et durable, dont l’utilisation semble bien tolérée. Cependant, leurs effets doivent être confirmés par des études de plus grande ampleur et comparés aux prises en charge habituelles ».
Il est en effet reproché à ces études le fait qu’elles portent sur un nombre restreint de patients (entre 10 et 50 patients seulement) et que les patients et leurs soignants connaissaient la nature du traitement reçu, une situation propice à la survenue de biais. Les études doivent appliquer le protocole de « double aveugle versus placebo », les participants ne savent pas s’ils appartiennent au groupe ayant reçu la substance psychédélique ou à celui bénéficiant du placebo.
Lutter contre la dépendance à l’alcool
En France, plusieurs programmes de recherches sont déployés pour mesurer les éventuels bénéfices de plusieurs psychothérapies psychédéliques sur la dépendance à l’alcool. Citons le projet AdelyLSD qui vise notamment à évaluer les possibles bénéfices du LSD contre la dépendance alcoolique sévère. Des études chez des rongeurs et un essai clinique sur 210 patients suivis dans 8 services d’addictologie d’Île-de-France sont en cours. À Amiens, des équipes de l’université de Picardie travaillent sur Psi-Alc, lancé en 2019 et mené en partenariat avec des chercheurs européens. Leur but est, entre autres, de décrypter les mécanismes réduisant l’envie de boire de l’alcool, après absorption de psilocybine. Lors de premiers travaux chez le rat, publiés en novembre 2021, le groupe a constaté que cette molécule psychédélique restaurait l’activité d’un gène (mGluR2) qui est diminuée chez les personnes dépendantes à l’alcool.
Autre initiative : au CHU de Nîmes, l’équipe d’Amandine Luquiens a testé chez 30 patients dépendants à l’alcool avec symptômes dépressifs les effets des traitements combinés psilocybine, traitement habituel post-sevrage et psychothérapie. Les résultats, et notamment l’efficacité d’un tel traitement sur la prévention des rechutes, sont attendus pour 2025.
Un remède aux dépressions sévères ?
Durant l’été 2024,l’équipe de la psychiatre et chercheuse Lucie Berkovitch du centre hospitalier Sainte-Anne, à Paris, a lancé l’essai clinique COMP006 qui évalue l’efficacité de la psilocybine, associé à un soutien psychologique, dans la prise en charge de la dépression résistante aux traitements.
Cependant, il est difficile de réaliser de tels travaux pour plusieurs raisons. « Les études sur les psychédéliques sont très coûteuses, ne serait-ce que parce qu’elles nécessitent un accompagnement par un psychothérapeute. Il faut également trouver une source fiable de substance pour administrer un traitement vérifié et sécureaux participants, de façon reproductible. Or les laboratoires spécialisés sont localisés à l’étranger. Importer ces produits classés comme stupéfiants suppose de franchir de nombreuses étapes administratives. Enfin, il faut que le protocole soit validé en France par les comités d’éthique et l’Agence nationale de sécurité du médicament avant de recruter des participants » indique Lucie Berkovitch dans les colonnes du média en ligne Le Quotidien du Médecin.
A l’étranger, la MDMA, principe actif de l’ecstasy, a montré une efficacité dans l’état de stress post-traumatique et dans l’état anxieux en association avec une psychothérapie. Le LSD a été évalué dans l’anxiété en contexte palliatif et la DMT, principe actif de l’ayahuasca, a fait l’objet de quelques études dans la dépression résistante. D’autres études sont en cours pour tester les psychédéliques dans les troubles obsessionnels compulsifs et dans les troubles du comportement alimentaire.
Précautions à prendre et freins au développement
Dans les protocoles, les chercheurs mettent en place le set et setting. Ce concept venu des Etats-Unis consiste pour le « set » à apporter de l’attention au patient, et notamment à son état d’esprit, ses attentes et ses antécédents psychologiques. Le « setting », quant à lui, consiste à se focaliser sur l’environnement, le contexte, les personnes avec qui la substance est consommée.
Aussi, les thérapies assistées aux psychédéliques nécessitent une préparation et un suivi rigoureux pendant et après la prise. N’oublions pas que des effets secondaires peuvent ponctuellement survenir comme de la panique, des angoisses, des confusions ou des phobies.
Plusieurs limitations viendront très probablement limiter ou retarder la généralisation de l’administration de molécules psychédéliques pour soulager une dépression sévère résistante ou une dépendance sévère à l’alcool. Ce sont notamment d’une part, le nombre limité de psychiatres en France pouvant accompagner les patients sur le long cours et formés à la médecine psychédélique et d’autre part, le risque de voir leurs prescriptions médicales encourager potentiellement leurs usages récréatifs.
– Thérapies psychédéliques : une panacée ?. www.inserm.fr. Consulté le 7 avril 2025.
– Comment le LSD et la MDMA soignent-ils les troubles psychiatriques ? . www.polytechnique-insights.com. Consulté le 7 avril 2025.
– Dr Lucie Berkovitch (hôpital Sainte-Anne) : « Les psychédéliques ont des effets thérapeutiques en association avec la psychothérapie ». www.lequotidiendumedecin.fr. Consulté le 7 avril 2025.
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